L’information ne vous a sans doute pas échappée : une fillette thaïlandaise de 2 ans, Matheryn Naovaratpong, était cryogénisée le 20 avril dernier. Mais la cryogénisation, c’est quoi au juste ? Si certains l’envisagent comme un fantasme alimentant les scénarios de films de science-fiction, la préservation d’un être vivant à très basse température après sa mort est pourtant bel et bien une réalité. Deux entreprises s’activent même depuis plusieurs années à démocratiser cette pratique dans le monde : Kriorus et Alcor. Après avoir rassemblé vos questions sur Twitter et afin d’en savoir plus sur ce véritable mouvement idéologique qui revendique déjà plusieurs centaines de personnes cryogénisées dans le monde, FUTUREMAG est parti à la rencontre de Danila Medvedev, co-fondateur de KrioRus.

 

@bitr3b3l : Comment la cryogénisation affecte-t-elle le processus biologique d’un humain ? Vieillit-il toujours ?

Danila Medvedev : La cryogénisation n’a pas d’effets significatifs sur le corps humain. Elle ne change pas la composition des cellules. Les réactions chimiques sont totalement stoppées. Il ne se passe plus rien. Il n’y a plus de métabolisme. Tout est gelé, stoppé dans le temps. Le seul effet potentiellement remarquable est un léger changement de la couleur de la peau d’une personne.

 

@faddeii : L’ADN se détériore-t-il dans le temps ?

D.M. : Non, l’ADN est le dernier de nos problèmes car il est présent en quantité dans le corps. Notre principale préoccupation concerne la mémoire. En matière scientifique, la mémoire est une succession de connexions entre les neurones et c’est celle-ci qu’il faut que l’on arrive à préserver.

Les cellules du cerveau et les échantillons que nous avons montrent que la structure est conservée. On peut anticiper quelques dommages collatéraux, mais nous sommes sûrs à 99% que la mémoire est conservée.

 

@faddeii : Combien de temps peut durer la cryogénisation ?

D.M. : Aujourd’hui, nous n’avons pas à nous soucier du temps de préservation. Les premières cryogénisations se sont faites dans les années 1960. On est aujourd’hui assez sûr de pouvoir préserver les gens sur une longue durée. Les techniques et les technologies s’accélèrent aujourd’hui, donc d’ici 2050 / 2060, nous pensons que l’on pourra garantir de conserver les gens pendant des millions d’années.

 

@louisebrst : La cryogénisation est-elle seulement prévue pour les êtres humains ?

D.M. : Non le processus est aussi prévu pour les animaux. Les scientifiques ont d’ailleurs fait les premiers essais sur eux. Plusieurs animaux peuvent survivre dans un état de « congélation ». Par exemple, les grenouilles arctiques ont cette capacité. On voit que la cryogénisation est une solution très prisées des maîtres qui sont attachés à leurs animaux de compagnie et qui veulent pouvoir les garder avec eux. Chez KrioRus, nous avons par exemple des oiseaux, des chiens, des chats, un chinchilla, une souris et quelques animaux exotiques. quote fr png

 

@Echopteryx  : Techniquement, où sont gardés les corps ?

D.M. : Nos dispositifs de stockage sont installés en dehors de Moscou. De gros silos de cryogénisation permettent de conserver les corps. Ce sont un peu comme de gros thermos à l’intérieur desquels les corps sont plongés dans du nitrogène liquide à -200 degrés. Le nitrogène est la base même de la cryogénisation. Peu importe la température externe, rien ne peut changer celle à l’intérieur du silo. Le système ne repose donc pas sur l’électricité, ce qui résout le problème d’une panne potentielle. Nous avons juste besoin de remettre du nitrogène liquide une fois par mois. À l’avenir, nous espérons juste avoir un système qui remette du nitrogène tout seul sans avoir besoin d’une intervention externe.

 

@Niktareuss : 12 000$ pour préserver son cerveau et 200 000$ pour tout son corps… Le coût d’une cryogénisation reste élevé. Quand pensez-vous que les prix baisseront, de manière à ce que même les moins riches puissent y avoir accès ?

D.M. : Les prix vont baisser à mesure qu’un plus grand nombre de gens se feront cryogéniser. Mais je ne dirai pas que les prix sont élevés aujourd’hui. Si l’on tient compte du coût de la cryogénisation de son cerveau, il reste assez abordable et en s’y prenant assez en avance, les gens peuvent aisément s’en sortir. C’est une question d’anticipation. D’ailleurs, bon nombre de nos clients ne sont pas riches. La cryogénisation est donc plus chère qu’une sépulture classique, mais il faut en relativiser le coût. Si quelqu’un est en train de mourir d’une maladie par exemple, ses dépenses médicales vont augmenter. Toutes ses économies vont partir dans ces traitements. Cela fait encore peu de temps que la cryogénisation se révèle comme une solution et les patients se tournent donc vers des systèmes traditionnels. Ce qu’il faut, c’est qu’elle soit proposée comme un vrai traitement médical et que les patients puissent faire le choix d’investir dedans. C’est un problème d’information. Les médecins n’ont pas suffisamment le temps d’étudier le sujet pour le proposer comme traitement. Nous avons pris le temps de montrer nos travaux à de grands chercheurs et des docteurs de renom et les réactions sont toujours positives. C’est bien la preuve que c’est une question de niveau de connaissance sur le sujet. alcor

Alcor

 

@Niktareuss : L’entreprise américaine Alcor exerce la même activité que vous. Y’a-t-il des différences ? Pourquoi n’y a-t-il pas de compagnies similaires en Europe ?

D.M. : Il est très difficile d’établir un business autour de la cryogénisation. La plupart de ceux qui ont voulu développer un modèle se sont arrêtés aux prémices. Nous avons l’expérience d’être partis de rien, nous avons tout créé, ce qui demande beaucoup d’intelligence et de temps. Ça ne se fait pas en deux mois.

Nous avons pour projet de créer une organisation européenne de cryogénisation. La partie technique serait située en Suisse. L’idée étant que les corps puissent nous être envoyés ensuite. Nous espérons pouvoir voir naître cette organisation d’ici un ou deux ans. C’est l’une des différences avec Alcor. Les Américains ne se soucient pas de ce qui se passe en dehors de leur pays. Ils ne sont pas très motivés.

 

@Echopteryx : Qu’en est-il des droits des personnes cryogénisées ? Qu’arrivera-t-il si KrioRus fait faillite ?

D.M. : Si jamais nous rencontrons des difficultés financières, nous transmettrons l’information aux familles par exemple, afin qu’elles puissent nous soutenir. Ce qui nous coûte le plus cher, ce n’est pas de conserver les gens, c’est l’administration et la recherche. Je pense que l’on doit malgré tout admettre que l’on rencontrera différents défis qui nécessiteront beaucoup de travail.

 

@Echopteryx : Y’a-t-il un programme de réhabilitation prévu pour les gens qui se « réveilleraient » d’une cryogénisation, et qui découvriraient une toute autre société ?

D.M. : Nous travaillons dessus oui. Nous faisons beaucoup de recherche en ce moment sur la réalité virtuelle pour aider les gens, leur apprendre ce qui s’est passé entre temps. Il faut que la transition puisse se faire en douceur pour ne pas trop brusquer les gens qui seront peut-être déjà des post-humains.

En plus de cette première solution, nous aurons de nouvelles façons de contrôler notre cerveau, notamment via des implants posés par des neuro-chirurgiens. Si un individu se rend compte qu’il ne peut pas s’adapter sur le long-terme il aura deux solutions : continuer de vivre dans la réalité virtuelle, ou dans le pire des cas, se suicider.

 

@YV_ArBrusk : Qu’entendez-vous par « post-humain » ?

D.M. : La plupart des films de science-fiction traitent le futur en parlant des changements de l’environnement : vaisseaux spatiaux etc. Mais le plus intéressant est le corps humain. Et en la matière, l’une des meilleures illustrations aujourd’hui est le film Twilight. C’est un rapport plus positif au « post-humain ». L’héroïne humaine, Bella, dès le début de la saga accepte l’idée de mourir pour vivre éternellement jeune. Elle dit ainsi :

« Je meurs déjà. Tous les jours, chaque seconde je m’en approche. Je vieillis. »

 
Par Camille Giquel