Face au risque de manquer de gaz et d’électricité cet hiver avec l’arrêt des livraisons russes – désormais « l’option la plus probable », selon le ministre de l’Economie Bruno Le Maire -, industriels et pouvoirs publics s’organisent pour faire face au plus urgent.

« Dans certaines régions, la direction appelle les centres commerciaux pour leur demander de vérifier si leurs générateurs fonctionnent toujours. Au cas où », explique un professionnel. Les industriels élaborent des plans d’urgence. « On convertit nos chaudières, pour qu’elles puissent fonctionner au gaz ou au fioul et jusqu’à ce qu’on puisse passer au charbon s’il le faut », expliquait Florent Menegaux, président de Michelin, lors des Rencontres économiques d’Aix-en-Provence, le 10 juillet, rappelant qu’une usine de pneus a besoin d’un approvisionnement continu en énergie et qu’il faut plusieurs jours pour arrêter et redémarrer la production.

Chez les cimentiers, c’est actuellement une course contre la montre pour récupérer le maximum de combustible solide de récupération (CSR), ces gros granulés issus de déchets non dangereux. Mais toutes les chaudières ne sont pas adaptées et les volumes proposés ne suffiront pas à compenser les énergies fossiles.

Les prix s’envolent

« Dans le gaz comme dans l’électricité, les prix étaient stratosphériques, car le marché anticipe des coupures pour cet hiver. Ce sont en quelque sorte les prix de la peur », souligne Thérèse Sliva-Marion du Cleee, une association qui regroupe les grands acheteurs d’énergie. Pour le quatrième trimestre, le TTF, l’indice de référence des prix du gaz en Europe, s’établit à 190 €/MWh, soit douze fois plus qu’il y a deux ans. Idem avec l’électricité. Pour une livraison au quatrième trimestre, le MWh vaut actuellement environ 800 €, et jusqu’à 960 € pour décembre.

« Les entreprises se sont très bien protégées en achetant leur gaz et leur électricité à l’avance jusqu’à la fin de l’année. Mais l’inquiétude est surtout valable pour le début 2023 : certains n’auront d’autre choix que d’arrêter en raison des niveaux de prix », a déclaré Julien Teddé, co-fondateur de la société de courtage Opéra Énergie. C’est ce qu’a fait, par exemple, le groupe sidérurgique LME Beltrame dans le Nord, lors de l’arrêt de ses fours pendant quelques jours l’hiver dernier.

La production nucléaire au plus bas

« Mais cette fois, on n’échappera probablement pas aux mesures d’effacement en janvier, s’il fait très froid, voire en fin d’été, si la sécheresse persiste (en raison d’une production hydroélectrique insuffisante, NDLR) », estime-t-il. De son côté, Nicolas de Warren, président de l’Union des industries consommatrices d’énergie (Uniden), qui regroupe les plus gros consommateurs.

Car le gaz russe ne sera pas le seul à manquer cet hiver. Avec 27 réacteurs sur 56, la production nucléaire est à son plus bas niveau depuis trente ans. EDF peine à sortir de la pandémie qui a complètement bouleversé le calendrier de maintenance de son parc vieillissant.

A cela s’ajoutent les problèmes de corrosion observés dans les circuits secondaires : trois réacteurs ont été arrêtés et des contrôles sont en cours sur neuf autres, dans le cadre des arrêts de tranches. « Tout le monde se demande désormais si EDF pourra remettre rapidement en service une partie de son parc. C’est la question clé », a déclaré le chef d’Uniden.

Brûler moins de gaz pour faire de l’électricité

Cependant, le gouvernement a introduit un chapitre sur la souveraineté énergétique dans le projet de loi sur le pouvoir d’achat, dont la discussion a débuté le 18 juillet. Elle prévoit d’augmenter le stockage de gaz (les réservoirs devront être remplis à 100% au 1er novembre au lieu de 85%) et facilitera la création d’un terminal méthanier flottant au large du Havre, multipliant les contraintes environnementales, pour qu’il soit opérationnel à l’hiver 2023.

Des dispositions pour préparer un éventuel rationnement ont été introduites dans le projet de loi sur le pouvoir d’achat, dont la discussion débute lundi 18 juillet à l’Assemblée nationale. L’État pourra ainsi suspendre l’exploitation des centrales au gaz qui produisent de l’électricité, afin d’économiser des molécules. Un questionnaire a également été envoyé aux 5 000 entreprises dont la consommation dépasse cinq gigawattheures par an et qui représentent près de la moitié de la demande. L’objectif est de savoir qui peut être coupé sans trop de dégâts et pendant combien de temps.