La France n’a jamais été aussi peu « néolibérale ». L’Etat est enfoncé jusqu’au bout de la vie économique. Nous avions raison de nous réjouir. Personne n’a été laissé pour compte lorsque le Covid a forcé tout à fermer. Les salariés n’ont pas perdu leur emploi, les employeurs ont été soutenus, les « amortisseurs » sociaux ont rempli leur fonction. La promesse du « quoi qu’il en coûte » a été tenue – sans se traduire, d’ailleurs, par la moindre reconnaissance des Français à leurs gouvernants, mais cela est une autre histoire.

Aider l’Ukraine, la crise économique a commencé. Cela crée à son tour une énorme demande pour l’État. Personne ne songerait à laisser le marché faire face seul à la hausse des prix. Appelée à intervenir, la communauté intervient. Au Parlement, des voix s’élèvent de gauche à droite pour crier que cela ne suffit pas. On argumente sur la profondeur de l’action publique, mais aucun murmure ne s’élève contre son principe. Personne n’aurait imaginé cela il y a trente ans. Bref, nous attendons beaucoup de l’État, ce qui le ramène à sa principale justification : assurer la sécurité là où elle est perçue comme nécessaire.

Or, l’économie française est de plus en plus « artificielle » : renforcée, soutenue, orientée ; et ce sans même prendre en compte le poids colossal de l’emploi public ou celui du financement public de l’emploi privé, soit sous forme de baisse de charges, soit de subventions directes – celles affectées par exemple par les collectivités locales au secteur associatif. Cela pose un problème évident de soutenabilité budgétaire, mais pas seulement. Il faut maintenant considérer également deux autres difficultés, d’ordre psychologique, pour ne pas dire cognitive.

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L’Etat n’est pas intrinsèquement génial

L'Etat n'est pas intrinsèquement génial

Tout d’abord, nous perdons notre mémoire. Nous voulons croire que l’État peut tout faire, tant qu’il le veut. La crise de 2007-2008 a pourtant montré que c’était faux. Mieux : le 20e siècle nous a appris que l’État n’est pas brillant intérieurement. Elle produit peu et mal de richesses ; elle crée moins de mutations techno-scientifiques qu’elle ne le voudrait – c’est un des drames de l’Université – ; il peine à innover socialement au sein de ses propres entreprises… Et puis on fait tout pour oublier que les économies très gérées ont presque toujours échoué, partout ; souvent dans le sang et les larmes.

Deuxièmement, nous perdons l’équilibre. Ou du moins les moyens de ne pas le perdre. Le seul principe acceptable en économie est de se méfier aussi bien du « trop de gouvernement » que du « trop peu ». Mais encore faut-il vouloir avoir un curseur. Mais cette préoccupation nous laisse là où le besoin de la cultiver grandit plus que jamais.

Le fait est que nous avons un engagement profond et de longue date en faveur de la gouvernance publique du marché. La France est l’un des pays les plus gouvernés au monde. C’est aussi l’un de ceux sur lesquels la contrainte législative et réglementaire est la plus forte – pas toujours pour le mal, mais pas forcément pour le bien. Dans quelques semaines, l’esprit de surenchère, qui dominera le travail parlementaire, va aggraver le trait dans des proportions énormes. Compte tenu de l’ambiance, il y a beaucoup de bêtises à prévoir.

Ajoutez à cela, au-delà des institutions « politiques », le vent de la démesure qui règne sur nombre de ces autorités indépendantes auxquelles la loi a confié la tâche de « réguler » la vie économique. Ils disposent de pouvoirs colossaux pour traquer la moindre violation des règles générales de la concurrence ou des règles particulières qui régissent des dizaines de secteurs (énergie, télécommunications, médias, etc.). Cependant, ils l’utilisent avec beaucoup de zèle et relativement peu de honte. Et on voit qu’ils sont fiers du fait qu’ils prononcent des sanctions titanesques – parfois en centaines de millions d’euros -, comme s’il y avait la preuve de leur utilité au monde ; comme s’il n’y avait pas de contrepartie à craindre à cet excès, en termes d’attractivité pour les investisseurs, de dynamisme des entreprises, de croissance, d’emploi…

Il faut retrouver le calme et la distance ; rappeler qu’un État trop vigoureux, ivre de lui-même ou trop croyant à la vertu de sa (toute) puissance, présente un grand danger pour la prospérité du pays. Mais, là encore, la pente est opposée, et elle sera raide.

Denys de Béchillon est constitutionnaliste et professeur de droit à l’université de Pau.

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