« Nous sommes passés d’un choc de demande à un choc d’offre », a déclaré récemment Olivier Andriès, PDG de Safran. Nous découvrons progressivement que le problème des masques lors de la première phase de la crise du Covid touche désormais tous les secteurs.

Un nouveau cycle commence, le cycle se termine, celui qui emprunte toujours au triomphe du modèle anglo-saxon fabless qui a vu les entreprises occidentales céder leurs centres de fabrication pour se concentrer sur la conception des produits. Au cours de la dernière décennie, les actions de Hon Hai, la société mère du fabricant chinois d’électronique grand public Foxconn, sont restées stables, tandis que les actions du fabricant taïwanais de puces hautes performances TSMC ont décuplé. Mais surtout, dans le même temps, Apple – fort de l’externalisation de sa partie produit pour mieux se concentrer sur les logiciels – prenait près de 1 500 %.

Avons-nous réalisé combien de tables tournent aujourd’hui ? En 2021, si le groupe LVMH a engrangé 12 milliards d’euros de bénéfices, il est inconnu du grand public, l’armateur CMA-CGM, qui a égalé 17 milliards avec le champion national TotalEnergies. Les goulots d’étranglement de production ne se limitent pas au simple Covid ; elles sont aussi le résultat d’une explosion des coûts logistiques, des catastrophes naturelles liées au changement climatique, des barrières gouvernementales au commerce mondial et de la gestion des stocks jusqu’à présent, qui devient de plus en plus inefficace dans un contexte de volatilité croissante de la demande.

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La Chine semble avoir pris conscience de tout l’avantage qu’elle pourrait tirer de cette nouvelle « arme de l’énorme rapport de force » si elle parvenait à déplacer sa production vers un marché supérieur. Apple l’a d’ailleurs rappelé malgré lui, annonçant un doublement de son stock en provenance d’Inde de 3,5% à 7%… quand la Chine en représente encore 90% ! La nouvelle amitié promue par l’administration Biden – la délocalisation de la production en territoire ami – durera plus longtemps tant son prix élevé s’avère difficilement acceptable pour des activités non stratégiques, surtout en période de forte pression inflationniste.

La Chine parie sur le retour de la plupart des chaînes de valeur à la production, un choix qui semble motivé et justifié par l’opportunité qu’offre malheureusement la guerre en Ukraine de se constituer un avantage compétitif décisif grâce au coût de « l’énergie ». Alors que Pékin aura bientôt accès aux hydrocarbures russes, ce qui est attendu après une très forte réduction, tout en maîtrisant les métaux majeurs de la transition environnementale, l’explosion des factures énergétiques et le risque environnemental deviennent de plus en plus apparents pour l’industrie européenne. Le contraste sera particulièrement important avec l’industrie allemande, qui sera la principale cible de la transition de la Chine vers un marché plus élevé. La récente décision du groupe pétrolier étatique chinois Cnooc de mettre en vente ses actifs en Occident, afin d’éviter d’éventuelles futures sanctions américaines, est à cet égard judicieuse. Malheureusement, elle annonce une probabilité croissante de ségrégation mondiale, favorisée par la récente loi chinoise restreignant le transfert de données dites sensibles à l’étranger. Cela suffit pour accélérer la transition du monde vers une « économie de guerre ».

Au lieu de sombrer dans le pessimisme, les industriels européens devraient écouter le ministre allemand des Finances, Christian Lindner, qui a récemment annoncé la fin du bilatéralisme. N’oublions pas que le commerce mondial en 2021 a augmenté de 13% par rapport à 2019, et qu’il faut donc œuvrer à la re-mondialisation, pas à la démondialisation du monde. Une mondialisation dont la Chine, désormais présente dans les chaînes de valeur d’un tiers des exportateurs mondiaux, ne peut en aucun cas être exclue ; mais il ne doit plus être traité simplement de manière bilatérale.

Le fait que toute l’industrie de la logistique des conteneurs s’attend à réaliser 220 milliards (!) de bénéfices en 2022 nous indique que « la direction ne suivra pas » cette année non plus, car il faudra encore deux fois plus de temps pour transporter les produits à partir de 2019 qu’en Chine. jusqu’à son exutoire ouest. Ce retournement global aura au moins l’avantage de faire des heureux dans les entreprises : la direction des achats, enfin conviée aux conseils d’administration !

Opinions

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Chronique de Gwénaëlle Avice-Huet

Gwénaëlle Avice-Huet, membre du directoire de Schneider Electrica, directrice générale de la stratégie et du développement durable